Le moulage de vulve, outil d’empowerment féminin

Venue d’Outre-Atlantique, la chercheuse indépendante Magaly Pirotte de SEX-ED + a investi les locaux du GAMS Belgique durant deux jours et a réalisé dix moulages de vulves de femmes ayant subi une excision dans le cadre d’un projet d’échange financé par Wallonie-Bruxelles International-Québec. Le Centre Médical d’Aide aux Victimes de l’Excision (CeMAViE) du CHU Saint Pierre, le GAMS Belgique et SEX-ED + ont pu collaborer pour réaliser des reproductions d’organes génitaux externes. Le but ? Créer une encyclopédie et des outils pour mieux comprendre les réalités des femmes concernées par les mutilations génitales féminines et mieux accompagner ces dernières. C’est une première mondiale ! Nous revenons sur cette expérience avec la chercheuse Magaly Pirotte et Fabienne Richard, la directrice du GAMS Belgique et sage-femme chez CeMAViE.

 

Magaly Pirotte s’est installée quelques jours dans la capitale belge pour réaliser des moulages de vulves de femmes ayant subi une excision. Magaly est chercheuse indépendante et travaille sur l’éducation à la sexualité et la santé sexuelle et reproductive depuis une quinzaine d’années. Elle crée, avec le projet SEX-ED +, du matériel pédagogique qui présente la diversité des anatomies génitales. Son souhait est de contribuer à l’évolution des discours sur les sexualités afin de les rendre plus inclusifs et respectueux de la diversité des corps, des identités et des expériences afin d’alimenter les réflexions et les pratiques pour promouvoir une éducation à la sexualité anti-oppressive et émancipatrice.

« Il faut arrêter de proposer des outils hyper normés où l’on parle uniquement de reproduction et de maladies. Ce type d’outils nous enferme dans une certaine façon de parler de la sexualité. »

 

Le clitoris 3D d’Odile Fillod : l’un des éléments déclencheurs

Après des années de travail comme chargée de plaidoyer en planning familial, Magaly découvre le clitoris 3D de la chercheuse française, Odile Fillod. « Cet outil révolutionne la manière de parler de sexualité. Je l’ai tellement utilisé que j’en ai brisé des tas. C’est là qu’est venue l’idée d’en créer un mou, pour qu’il ne se brise pas. » Durant un voyage à Paris, elle rencontre la chercheuse et des militantes qui travaillent sur la question de l’excision. Magaly a reçu des demandes pour créer des clitoris mous à intégrer dans une vulve afin d’avoir des supports en consultation pour accompagner les femmes. « Le projet SEX -ED + est parti d’essais, de rencontres et du besoin du milieu. En 2018, j’ai posé ma candidature dans un programme de création d’entreprise pour lancer mon projet. Et depuis, ça continue » raconte la reine du moulage.

 

La rencontre au Québec

En janvier 2020, Fabienne Richard et Magaly Pirotte se rencontrent à Montréal lors d’un premier échange Wallonie-Bruxelles International avec Bilkis Vissandjée, professeure titulaire à la Faculté des sciences infirmières de l’Université, chercheuse à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM) et le RAFIq, le Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec. Fabienne se retrouve pour prendre un café dans l’atelier de la chercheuse québécoise. Notre directrice est alors subjuguée par tout le travail exploratoire de Magaly et repart en Belgique avec des modèles 3D et plein d’idées.

« Il n’existe aucune structure d’accompagnement qui ressemble au GAMS Belgique au Québec »

A Montréal, Magaly a pu faire des moulages de personnes transgenres, cisgenres, non-binaires. Lorsqu’elle a eu envie d’aborder la question de l’excision et de la reconstruction, elle s’est rendu compte qu’il n’existe aucune structure d’accompagnement qui ressemble au GAMS au Québec.

« Juste le fait de reconnaitre publiquement d’être excisée est compliqué. Les associations communautaires n’étaient pas encore prêtes à me recevoir pour parler du projet ».

Magaly a alors contacté des partenaires Français et Suisses ainsi que Fabienne Richard pour lui parler de la possibilité de réaliser ce projet à travers le programme d’échange de Wallonie-Bruxelles International. « Le projet s’est fait de façon très organique, là où pour d’autres institutions, c’était plus compliqué à mettre en place. Je n’aurais jamais pu faire ce projet sans l’aide du GAMS Belgique et CeMAViE. Il fallait trouver des personnes qui soient proches des femmes et qui les connaissent. », relate la chercheuse.

 

Empowerment féminin et réflexion en cours

La mise en place du projet a été retardée par la COVID mais cela a permis d’avoir le temps de bien préparer les femmes. En charge du recrutement, Cendrine Vanderhoeven, sexologue à CeMAViE a pu leur expliquer en détail toutes les étapes du processus. Du côté du GAMS Belgique, une animatrice communautaire a recruté deux femmes de la communauté somalienne. « Il était important d’avoir des femmes de différentes origines avec différents types de mutilations sexuelles féminines pour montrer la diversité des vécus et des corps. Des femmes ayant bénéficié d’opération de reconstruction clitoridienne ou de désinfibulation ont participé également au projet. », nous explique Fabienne Richard.

Magaly Pirotte est rentrée au Québec avec dix moulages dans ses valises. Notre partenaire les a ensuite scannés en 3D et enregistrés dans une base de données numérique. En ce qui concerne le développement des outils, les chercheuses sont en phase de réflexion.

« On constate qu’il n’y a pas de grande distinction entre les moulages de femmes excisées et non excisées. En soit c’est déjà un résultat important car les femmes pensent que tout le monde va directement voir qu’elles sont excisées. En revanche, nous avons trois exemples de moulages de reconstruction de clitoris avec des résultats différents. Il faut également penser à ajouter d’autres supports que ce soit en photo, en vidéo ou en podcast pour documenter le projet », analyse Magaly.

À la grande surprise de Magaly, toutes les femmes ont demandé un double de leur moulage alors que certaines ne se sont jamais regardées ou touchées.

« Le processus en lui-même et le feedback des femmes étaient très positifs. Elles étaient super contentes de pouvoir repartir avec un moulage de leur vulve. Beaucoup de femmes ont honte de leur corps et pensent que dès qu’elles se déshabillent leur partenaire va directement le voir. Cela peut être rassurant pour les femmes qui n’osent pas s’engager dans des relations à cause de leur excision. Le moment de moulage avec Magaly et les femmes engagées dans le projet était une réelle expérience d’empowerment féminin, il y avait une super ambiance entre fous rires et confidences », ajoute Fabienne.

« Il existe des projets artistiques où la démarche est de révéler le corps de l’autre, or le projet SEX-ED + a une démarche où chacun s’approprie le processus. », explique Magaly

 

Une encyclopédie des organes génitaux ?

Magaly a déjà récolté plus d’une trentaine de moulages d’organes génitaux disponibles en 3D stockés sur une plateforme numérique en attente de mise en ligne.

« Mon idéal, c’est que toute personne qui aurait besoin d’imprimer des organes génitaux depuis la base de données puisse le faire. Pour cela, il me faut du financement pour pouvoir couvrir mes frais de recherches et d’achat de matériel. Je considère que ce projet doit être financé par les institutions publiques. Il est de leur responsabilité de prendre en charge la question de l’éducation à la sexualité . Il y a une réelle revendication politique dans ma démarche. A travers le projet SEX-ED +, il existe une variété d’outils pédagogiques et inclusifs, il reste maintenant à penser au financement, l’accès et à la diffusion des moulages en 3D sur internet », conclue la chercheuse québécoise.

Affaire à suivre…

Texte Leïla El-Mahi – Photos de Margrit Coppé

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